Vendredi 17 novembre 2023
Accords de branche : l’urgence climatique mérite mieux

Ce 16 novembre, le Parlement wallon a voté le décret Neutralité Carbone, réglementant entre autres les conventions carbone, un des dispositifs sur lesquels repose la politique énergétique industrielle. Ce même jour, la FGTB wallonne publiait, en front commun syndical, une carte blanche dans Le Soir pour rappeler les revendications syndicales. Car l’emploi et la concertation sociale restent les grands absents de ce dispositif… pourtant financé par de l’argent public !

La prise en compte de ces deux dimensions s’avère pourtant indispensable pour garantir que la décarbonation de l’économie ne se fasse pas au détriment des travailleuses et travailleurs ainsi que des ménages.

Première et deuxième générations : un vaste gaspillage d’argent public.

Les deux précédentes moutures des accords de branche ont été marquées par l’octroi d’importants moyens publics au secteur privé, le tout sans obligations strictes ni contrôle sérieux. De substantiels subsides et réductions sur le prix de l’énergie ont ainsi été accordés aux secteurs industriels pour peu de résultats : 740 millions d’euros d’aides entre 2014 et 2020 pour seulement 236 millions d’investissements effectivement réalisés… Même pas un tiers !

Un gaspillage de moyens publics inacceptable quand on sait qu’un quart des ménages wallons vit en situation de précarité énergétique et que certaines entreprises bénéficiaires distribuent des surprofits à leurs actionnaires.

Ces accords peu efficaces et opaques auraient pu être améliorés à l’occasion de l’élaboration de la troisième génération des Accords de branche, notamment en intégrant davantage la dimension sociale et d’emploi et en y associant les organisations syndicales. Malheureusement, le Ministre de l’environnement a préféré réitéré les erreurs du passé.

L’indispensable dimension collective

Les Accords de branche nouvelle mouture devraient prendre la forme de communautés carbone, basées sur des conventions visant à la fois la décarbonation et la compétitivité économique. Ce double objectif peut sembler contradictoire puisque la poursuite des objectifs climatiques impliquera vraisemblablement d’anticiper la contraction de certaines activités fortement émettrices.

Il faut donc encore rappeler l’importance de feuilles de route de décarbonation négociées collectivement afin de préparer les nécessaires reconversions de certains secteurs, tout en assurant le maintien, voire le développement d’emplois durables et de qualité, avec garantie de revenus pour les travailleuses et travailleurs subissant les conséquences de la transition. Un avis d’ailleurs partagé par le Comité wallon des experts sur le climat qui précise que « l’annonce à l’avance de budgets d’émissions est importante afin de créer la prévisibilité nécessaire pour les investissements verts à long terme ».

Enfin, les contreparties accordées aux entreprises se concrétiseront principalement par des réductions de facture énergétique, ce qui peut sembler contre-incitatif par rapport aux objectifs climatiques et d’efficacité énergétique.

Changement d’appellation mais pas de logique

La confiance dans la main invisible du marché semble avoir à nouveau guidé la confection de ces nouveaux Accords de branche. Les fédérations patronales ont par exemple été associées à l’élaboration de l’avant-projet de décret. Les organisations syndicales n’ont été consultées que par obligation et leurs revendications n‘ont pas été entendues. Même « oubli » des organisations syndicales dans les comités technique et stratégique où elles n’ont été acceptées qu’en dernière minute et ne sont présentes que par l‘entremise d’un mandat CESE, alors que les fédérations patronales y sont pleinement représentées. Les organisations syndicales sont pourtant unanimement reconnues comme les partenaires indispensables à une transition juste associant respect des enjeux environnementaux et climatiques et le maintien et le renforcement des emplois.

Les auditions au Parlement wallon ont ainsi montré que leurs analyses et critiques étaient partagées par d’autres acteurs et experts (IWEPS ; Conseil économique, social et environnemental ; Inspection des finances…). On déplore ainsi l’absence de feuilles de route de décarbonation, le manque de transparence, la non-représentation syndicale dans les comités technique et stratégique, ou encore le recul que représente l’immunité décrétale (une fois qu’une entreprise aura conclu une convention carbone, la Région ne pourra plus lui imposer aucune obligation supplémentaire, à l’exception de la transposition de nouvelles règles européennes).

Impliquer les travailleuses et travailleurs dans le processus

À quelques heures d’un probable vote de ce texte au Parlement wallon, la CSC et la FGTB wallonnes tiennent à rappeler leurs revendications pour renforcer l’efficacité du dispositif et le bon usage de l’argent public.

Maintien du niveau et de la qualité de l’emploi dans les entreprises participantes ; présence syndicale renforcée au niveau du comité stratégique ; information des déléguées et délégués dans les organes de concertation[2] ; garantie de revenus pour les travailleuses et travailleurs impactés ; conditionnement des avantages à l’atteinte d’objectifs en matière d’efficacité énergétique et climatique mais aussi de création d’emplois durables et de qualité, de formation professionnelle, de reconversion des travailleuses et travailleurs…

Toutes ces mesures permettraient de changer radicalement de logique et de reprendre la main, démocratiquement et collectivement, sur la décarbonation de l’économie. Il n’est pas trop tard pour changer de cap.

 

[1] L’autre dispositif, le système ETS (Emission Trading System), relève du niveau européen.

[2] Comité d’entreprise, Comités pour la prévention et la protection au travail et Délégation syndicale.

Image Accords de branche : l’urgence climatique mérite mieux