MARDI 11 MAI 2021
Allocations d’insertion : la justice… et l’ONEM donnent raison à la FGTB !
Ça y est, les délais sont dépassés. L’ONEM a donc renoncé à faire appel contre les jugements, rendus par le Tribunal du travail de Liège le 18 mars dernier, qui donnent raison à 15 affiliés et affiliées de la FGTB Liège-Huy-Waremme contestant leur exclusion des allocations d’insertion sur base du principe de standstill. Cette renonciation constitue un véritable tournant : l’Office de l’emploi reconnaît en effet implicitement les arguments avancés par la FGTB et repris par le Tribunal du travail de Liège.
Mieux, l’ONEM vient même officiellement de réintégrer les 15 sans emploi dans leurs droits et d’accepter de les indemniser, reconnaissant par là son acceptation de la décision de justice.
De nombreux autres recours sont encore pendants et tant la jurisprudence que l’absence d’appel de la part de l’ONEM pourraient bel et bien faire boule de neige. Si cela devait se confirmer, ce sont des dizaines, des centaines d’autres affiliés et affiliées qui devraient pouvoir recouvrer leurs droits.
Parallèlement, d’autres sans emploi ayant introduit des recours se sont eux vus déboutés… sur base des mêmes textes de loi et principes ! Une situation intenable tant du point de vue de la cohérence que de l’éthique.
Une situation qui oblige les responsables politiques à revoir une copie vieille de 10 ans et à accéder à la revendication initiale de la FGTB : renoncer à la limitation dans le temps des allocations d’insertion !
Rétroactes
Fin 2011, le gouvernement annonce sa volonté de limiter à 3 ans la durée d’obtention des allocations d’insertion[1]. La FGTB wallonne avertit que cela mènera à des dizaines de milliers d’exclusions dès janvier… 2012 ! Suite à cette alerte, la mesure est reportée à janvier 2015, le compte à rebours des 3 ans débutant le 1er janvier 2012.
En 2012, 2013 et 2014, des mobilisations FGTB sont organisées, dont une manifestation rassemblant 3.000 personnes dans les rues de Namur. Au fil des mois, le mouvement prend de l’ampleur et se diversifie : d’autres organisations syndicales, des associations et collectifs rejoignent le mouvement.
Ces actions n’auront pas été vaines. En fin de législature (avril 2014), le gouvernement annonce des assouplissements (prolongations et dérogations en cas de travail, de formation, pour raisons médicales…). Si ceux-ci ont le mérite de sauver – temporairement ! – environ 20.000 personnes, l’ampleur de la catastrophe sociale à venir reste énorme.
Le 1er janvier 2015, le couperet tombe et les exclusions se comptent par milliers. Parallèlement à ses actions syndicales, la FGTB décide alors de porter le combat sur le terrain juridique. Elle invite plusieurs centaines d’affiliées et affiliés à introduire des recours sur base d’une violation du principe de standstill, garanti par l’article 23 de la Constitution.
Depuis, quelques décisions négatives ont été prononcées, d’autres, plus nombreuses, ont donné raison à nos affiliées et affiliés. Ces décisions totalement antagonistes, pourtant basées sur les mêmes textes et principes, posaient déjà question et problème quant à l’égalité des citoyens et citoyennes devant la loi. Aujourd’hui, les décisions positives se multiplient, indiquant une tendance lourde de la jurisprudence à reconnaître nos arguments comme fondés et recevables. Au point que même l’ONEM ne semble plus pouvoir les contester et ait décidé d’appliquer les décisions en réintégrant les requérants dans leurs droits.
La situation actuelle devient donc impossible à justifier : les problèmes de cohérence et d’équité gagnent en visibilité et en importance à chaque nouvel arrêt. C’est donc au politique de reprendre la main en osant revenir sur la mesure initiale.
Raison sur le plan statistique
En 2012, 2013 et 2014, la FGTB wallonne a multiplié les avertissements chiffrés. Si 50.000 exclusions étaient annoncées initialement, ces chiffres ont été revus à la baisse suite aux dérogations annoncées en 2014, puisque celles-ci écartaient temporairement 20.000 personnes de l’échéance fatidique.
En face, du côté des responsables politiques et du patronat, les réactions étaient passées du déni au mépris en passant par les accusations de mensonges. « On les connaît, vos chiffres » nous objectait-on même ! Pourtant…
- Comme l’avait prévu la FGTB wallonne, près de 30.000 personnes furent exclues en 2015.
- Comme l’avait prévu la FGTB wallonne, une grande majorité des exclus sont des excluEs.
- Comme l’avait prévu la FGTB wallonne, la Wallonie est de loin la Région la plus touchée, comptant à elle-seule deux tiers des exclusions.
Nous aurions néanmoins préféré avoir tort ! Car, derrière ces chiffres et statistiques se cachent autant de drames sociaux, familiaux, personnels… Des milliers d’exclues et exclus se sont tournés vers le CPAS, tandis que des milliers d’autres, ont disparu des radars de la Sécurité sociale et des institutions : solidarité familiale, dépendance à l’égard du conjoint, travail au noir, exclusion sociale…
Raison sur le plan politique
La FGTB wallonne était donc aux avant-postes pour dénoncer cette mesure, depuis son annonce fin 2011. Une mesure injuste, absurde, antisociale, inégalitaire tant d’un point de vue de genre que régional… Les arguments ne manquent pas !
D’un point de vue moral, il est tout simplement inacceptable de faire porter la responsabilité du chômage sur celles et ceux qui en sont victimes. Cette logique présente bien évidemment l’avantage d’absoudre de toute responsabilité le personnel politique et le patronat…
D’un point de vue social, la limitation des allocations d’insertion est le symbole-même d’une mesure ciblant les plus faibles, à portée plus idéologique que budgétaire (les économies étaient dérisoires au regard du budget de la Sécurité sociale et des conséquences sociales), qui encourage la stigmatisation des sans emploi, accentue la dualisation de la société et la précarité. Une précarité croissante que l’on peut résumer en un graphique : celui du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, alloué par les CPAS. Entre 2012 et 2020 – années où les mesures ciblant les sans emploi ont été particulièrement nombreuses et sévères –, le nombre de personnes émargeant au CPAS a augmenté de 60 %, la plus forte hausse ayant eu lieu en… 2015 !
Plus largement, cette mesure participait d’une entreprise globale de détricotage de l’assurance chômage visant la précarisation du marché du travail. Un bon niveau de protection sociale représente en effet à la fois un soutien individuel en cas d’accident de parcours mais également la meilleure assurance collective du monde du travail. Car, en précarisant les sans emploi, ce sont les conditions de travail et de rémunération de toutes et tous que l’on tire vers le bas. Le développement de l’emploi précaire, qui a accompagné la détérioration de l’assurance chômage ces dernières années, en est la preuve criante.
La proportion de personnes ayant un contrat de travail à durée déterminée est en effet passée de 7 % de la population salariée à 9,4 % entre 2009 et 2019.
Mais la tendance est encore plus marquée chez les jeunes : 1 salarié sur 4 de cette tranche d’âge travaillait sous CDD il y a 10 ans, la proportion est de 1 sur 3 aujourd’hui.
Raison sur le plan juridique
Les recours introduits par la FGTB pour contester les exclusions étaient basés sur la violation du principe de standstill – que l‘on peut rapprocher d’un « effet cliquet ». Celui-ci peut être défini comme étant l’interdiction pour une autorité publique de réduire sensiblement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu’existent, pour ce faire, des motifs d’intérêt général. Il trouve sa source, au niveau international, dans l’article 12 de la Charte sociale européenne et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En droit belge, si le principe de standstill n’est reconnu explicitement par aucun texte légal, tant la doctrine que la jurisprudence ont déduit son existence de l’article 23 de la Constitution qui consacre notamment le droit à la Sécurité sociale.
Le raisonnement suivi par les magistrats pour vérifier le (non-)respect du principe de standstill dans cette matière peut être synthétisé comme suit :
- la mesure entraîne-t-elle un recul du niveau de protection sociale tel qu’il existait au moment de l’adoption de la mesure ?
- ce recul peut-il être qualifié de significatif, de sensible ?
- ce recul est-il justifié par des motifs d’intérêt général ?
- dans l’affirmative, la régression du niveau de protection sociale respecte-t-elle le principe de proportionnalité, à savoir est-elle appropriée et nécessaire par rapport aux objectifs poursuivis et n’entraîne-t-elle pas des conséquences disproportionnées pour la substance du droit atteint ?
Dans les jugements liégeois concernant les 15 membres de la FGTB, le Tribunal du travail considère que les deux premières conditions ont été confirmées par un arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 qui « constate clairement, sans aucune ambiguïté et interprétations contraires possibles, que la limitation dans le temps des allocations d’insertion constitue bel et bien un recul de la protection sociale pour les personnes qui en bénéficiaient ».
Mais surtout, le Tribunal se rallie à la Cour en ce qui concerne l’absence de motifs d’intérêt général justifiant la régression sociale. Les seuls motifs avancés par le gouvernement pour justifier la régression étant des objectifs budgétaires et d’insertion sur le marché de l’emploi, le Tribunal juge que « cette justification aussi peu fouillée, et aussi générale, ayant une autre finalité immédiate, ne peut servir sérieusement, à elle seule, à remettre en cause le degré de protection sociale de la partie demanderesse ».
Par ailleurs, le Tribunal relève qu’il est vain pour l’ONEM de tenter de justifier la mesure a posteriori au moyen d’un dossier de pièces volumineux puisqu’en l’absence de critères de référence arrêtés au moment de l’adoption de l’arrêté royal, il est impossible d’apprécier l’efficacité de la réforme.
L’ONEM est donc condamné à poursuivre l’octroi du bénéfice des allocations d’insertion à partir du 1er janvier 2015.
De nombreux nouveaux autres jugements devraient être prononcés dans les semaines et mois à venir. La tendance jurisprudentielle, la renonciation à l’appel de l’ONEM et son acceptation de la décision (rappelons qu’il a réintégré les sans emploi dans leurs droits et les a indemnisés) nous poussent à l’optimisme.
Il est donc temps que le politique reprenne la main. Il serait tout simplement incompréhensible, incohérent et, surtout, totalement injuste que cette décision ne s’applique pas à l’ensemble des personnes exclues depuis janvier 2015.
Rappel : principales mesures restrictives mises en place dans le régime des allocations d’insertion depuis 2012
- 2012 : allongement de la durée de stage d’insertion (ex-stage d’attente). De 6, 9 ou 12 mois selon l’âge, la durée est portée à un an pour toutes et tous.
- 2012 : limitation des allocations dans le temps. Les allocations d’insertion sont limitées à 3 ans sans condition d’âge pour les cohabitants dits « non-privilégiés » et à partir de 30 ans pour les sans emploi chefs de ménage, isolés ou cohabitants « privilégiés »[2]. Le compte à rebours prend cours le 1er janvier de cette année et l’échéance est donc fixée au 1er janvier 2015.
- 2013 : conditionnement de l’obtention des allocations à la réussite de deux contrôles de recherche d’emploi durant le stage d’insertion.
- 2015 : l’âge limite pour introduire une première demande d’allocation d’insertion passe de 30 à 25 ans. Etant donné la durée du stage d’insertion (un an), il faut donc avoir terminé ses études avant l’âge de 24 ans pour pouvoir ouvrir ses droits.
- 2015 : restrictions d’accès liées aux études. Pour toute demande introduite avant l’âge de 21 ans, il ne faut plus avoir « terminé » certaines études mais les avoir réussies et être titulaire du diplôme requis. En cas de non-respect de cette condition, il faut attendre l’âge de 21 ans pour introduire une nouvelle demande.
Impact des mesures sur le nombre d’allocataires d’insertion
[1] Ex-allocations d’attente, les allocations de chômage forfaitaires octroyées aux personnes qui n’ont pas assez travaillé pour pouvoir obtenir des allocations de chômage complet.
[2] Chômeur cohabitant dont le conjoint perçoit uniquement des revenus de remplacement (chômage, allocation suite à une maladie…) d’un niveau très faible.