Mercredi 25 juin 2025
Exclusions du chômage : la Wallonie et Bruxelles en première ligne
Depuis plusieurs mois, la FGTB dénonce la réforme qui prévoit de limiter dans le temps l’accès aux allocations de chômage. Cette mesure, présentée par le ministre MR de l’emploi David Clarinval comme une mesure d’économie budgétaire visant à inciter au retour à l’emploi, aura en réalité des conséquences explosives et à l’opposé de son objectif annoncé, notamment pour les communes les plus fragiles. Grâce à une analyse chiffrée, la FGTB Bruxelles et la FGTB Wallonne dressent un constat glaçant. Florence Lepoivre et Jean-François Tamellini nous livrent leur lecture des chiffres… et leur appel à la mobilisation.
Vous disposez de chiffres très parlants sur les exclusions par commune. Que révèlent-ils ?
Jean-François Tamellini : Ce qu’ils révèlent, c’est un véritable scandale social et institutionnel. Sur les 100 communes les plus touchées par la réforme, 100 sont en Wallonie ou à Bruxelles. Liège, Charleroi, Seraing, Verviers, La Louvière, Farciennes, Herstal… toutes ces villes sont dans le top 50. Et elles n’y sont pas par hasard : ce sont des bastions industriels qui ont été laminés pendant des années par les ravages de la logique capitaliste. Aujourd’hui, on vient leur dire que leurs habitants coûtent trop cher à la collectivité. C’est à la fois injuste et indécent.
Il faut être clair : il ne s’agit évidemment pas de sous-estimer l’impact de ces mesures en Flandre ni d’établir une hiérarchie régionale. Derrière les chiffres dont se félicite la majorité fédérale se cachent autant de personnes et de situations difficiles. Chaque exclusion est un drame social pour la personne touchée, sa famille, ses enfants, ses proches. Et le poids de l’exclusion est aussi lourd à porter, que l’on vive au nord, au centre ou au sud du pays.
La FGTB reste viscéralement attachée aux solidarités interpersonnelles et interrégionales et au caractère fédéral de la Sécurité sociale, comme on le prouvera encore ce mercredi 25, à la manif nationale en front commun. La division, les réformes institutionnelles cachées, l’aggravation des inégalités, ce n’est pas de notre côté qu’elles se trouvent. C’est la stratégie de la N-VA et de ses alliés MR et Engagés de l’Arizona. « La réforme la plus communautaire que vous puissiez faire est de limiter le chômage dans le temps. » Cette phrase, ce n’est pas la FGTB qui l’a prononcée, c’est Bart de Wever !
Pendant que la Flandre rachète l’aéroport national, la Wallonie et Bruxelles vont devoir renflouer les CPAS. C’est bien de mettre un petit drapeau belge sur son costume, mais ceux qui s’apprêtent à voter cet accord pourront le troquer contre un pins du lion flamand.
Florence Lepoivre : Ce qu’on découvre, c’est une vérité brute : les exclusions vont frapper massivement des communes déjà très fragilisées. Saint-Josse, Molenbeek, Saint-Gilles, Bruxelles-Ville, Schaerbeek… toutes ces communes dépassent les 3,5 à 4 % de leur population touchée par une exclusion. Ce sont des communes qui cumulent déjà de nombreuses difficultés : pauvreté, chômage de longue durée, population jeune et diverse, discriminations structurelles. En 2023, 28 % de la population bruxelloise vivait sous le seuil de risque de pauvreté, contre 8 % en Flandre et 15 % en Wallonie. Les inégalités sociales sont particulièrement marquées dans la capitale, et exacerbées par les dépenses liées au logement qui ont notamment fait exploser le sans-abrisme.
Si l’on regarde dans l’autre sens, la première commune flamande dans le classement – Anvers – arrive seulement à la 140e place, avec 1,8 % de sa population concernée. Autrement dit : cette réforme concentre les exclusions dans les zones déjà les plus vulnérables.
Vous avez aussi comparé ces données avec l’indice IPP (impôt des personnes physiques). Qu’est-ce que cela révèle ?
Florence Lepoivre : Ce croisement est fondamental. Il confirme que plus une commune est pauvre, plus elle est frappée par la réforme. À Bruxelles, certaines communes affichent un revenu moyen par habitant 30 à 40 % en dessous de la moyenne nationale. Et ce sont ces mêmes communes dont les CPAS devront, demain, prendre en charge des milliers de personnes exclues du chômage, en plus de toutes les personnes qu’ils accompagnent déjà. C’est une double peine : on coupe l’allocation à des personnes déjà précaires, et on transfère la charge aux communes… qui n’ont ni les moyens ni les compétences et ressources fiscales pour assumer cela.
Jean-François Tamellini : Ce n’est pas une mesure de responsabilisation, c’est un transfert pur et simple de la gestion financière de la pauvreté entre entités politiques. C’est une façon pour le fédéral de se débarrasser de ses responsabilités sociales, de casser la solidarité entre les travailleuses et travailleurs de ce pays. La sécurité sociale est un système fondé sur la solidarité nationale. Avec cette réforme, on passe d’un système de droits à une logique d’assistance sociale et de survie au niveau local. Ceux qui pourront encore être aidés devront frapper à la porte d’un CPAS… s’il leur reste encore un budget pour ça. Les principales victimes de cette réforme seront celles et ceux qui vivent dans les quartiers populaires, dans les anciens bassins industriels, ceux que le marché de l’emploi laisse au bord du chemin. C’est une violence sociale délibérée. Plus largement, c’est l’ensemble de la population de ces communes qui sera touchée : face à l’explosion des budgets CPAS, les communes n’auront pas d’autre choix que d’augmenter la fiscalité, restreindre leurs services à la population ou en augmenter les tarifs.
Peut-on parler d’une réforme qui creuse les inégalités territoriales ?
Jean-François Tamellini : Absolument. Sur les 250 communes les plus touchées, on retrouve 19 sur 19 à Bruxelles, 225 sur les 261que compte la Wallonie… et seulement 6 en Flandre ! C’est une réforme structurellement déséquilibrée, qui va appauvrir encore davantage les régions déjà les plus fragilisées. C’est une réforme de la droite flamande imposée à des réalités wallonnes et bruxelloises, sans tenir compte des réalités locales. Une réforme institutionnelle qui ne dit pas son nom, menée à la hussarde, sans consultation approfondie, et sans la majorité des deux tiers.
Florence Lepoivre : C’est une rupture du pacte fédéral. Le gouvernement Arizona est en train de démanteler la solidarité entre les régions, entre les Belges. La N-VA ne s’en cache pas : elle veut l’éclatement de la sécurité sociale. Ce qui est plus choquant, c’est que le MR et les Engagés accompagnent et facilitent cette stratégie. Et qui va payer la note ? Les Bruxellois et les Wallons, à travers l’explosion de la pauvreté, des charges pour les CPAS et de la colère sociale.
Pour vous, cette réforme remet en cause l’essence même de la sécurité sociale ?
Florence Lepoivre : Oui, complètement. On remplace la sécurité sociale par la charité. On transfère la responsabilité au niveau local, sans les moyens, sans coordination, sans vision. C’est l’inverse de l’État social pour lequel nous nous battons au quotidien. Et ça nourrit un climat de ressentiment, de stigmatisation, de haine sociale qui alimente l’extrême-droite. Le plus grave, c’est que le MR joue ouvertement sur ces tensions. En opposant les « travailleurs flamands qui paient » aux « chômeurs wallons ou bruxellois qui profitent », en multipliant les caricatures sur les allocataires sociaux, il alimente un discours de division et de rejet. C’est une stratégie cynique et dangereuse : au lieu de construire la cohésion sociale, on attise les haines… pour quelques voix de plus sur le terrain de l’extrême droite.
Jean-François Tamellini : Ce que fait aujourd’hui le MR, c’est de la trumpisation pure et simple : désigner des boucs émissaires, jouer sur les peurs, simplifier à outrance des réalités complexes pour diviser, et même mentir sans scrupules. C’est une dérive grave pour un parti dit « démocratique ». En attaquant la sécurité sociale, en stigmatisant les sans-emploi, ils sapent les fondements mêmes de notre modèle social. Et ils prennent la responsabilité historique d’affaiblir le vivre-ensemble dans ce pays. À ce niveau-là, le silence des Engagés est assourdissant…
Quel message voulez-vous adresser aux parlementaires wallons et bruxellois ?
Florence Lepoivre : Ils ne peuvent ni se taire, ni détourner le regard. Cette réforme, c’est une attaque frontale contre leurs électeurs, contre leurs communes, contre tout ceux qu’ils sont censés défendre. Elle piétine les fondements de la solidarité, aggrave les inégalités, fracture le pays. Ce n’est pas une réforme technique. C’est un choix de société. Et ils ont le pouvoir – et le devoir – de dire non. Parce que ce sont leurs villes, leurs CPAS, leurs concitoyens qui vont en payer le prix..
Jean-François Tamellini : Nous leur disons clairement : ce vote engage votre responsabilité. Il engage l’avenir de centaines de milliers de familles. Il engage l’équilibre de nos finances locales. Il engage la cohésion sociale de tout un pays. Voter cette réforme, c’est valider une logique d’appauvrissement structurel, c’est entériner la fin d’une sécurité sociale fédérale solidaire, c’est abandonner les plus vulnérables au nom d’une idéologie. Nous attendons d’eux non pas des discours compatissants, mais des actes de résistance clairs : on ne peut pas signer des chèques sur le plateau de Viva for life d’une main et voter l’exclusion de 180.000 personnes de l’autre. Il est encore temps de bloquer cette réforme injuste, antisociale, et totalement contreproductive.
Vous parlez d’une réforme contreproductive. Pourtant, le ministre Clarinval affirme qu’elle vise à remettre les chercheurs d’emploi sur le marché du travail. Pourquoi n’y croyez-vous pas ?
Jean-François Tamellini : Si l’objectif était réellement de remettre les gens à l’emploi, on investirait dans la formation, dans l’accompagnement, dans les parcours personnalisés vers l’emploi. Au lieu de ça, on brandit la sanction, l’exclusion, la menace, comme si les Wallons se vautraient dans l’oisiveté du chômage, comme si c’était un choix délibéré ou un objectif de carrière… Mais dans les bassins industriels wallons, comme à Bruxelles, les exclus du chômage ne sont pas des profiteurs. Ce sont des personnes parfois très éloignées de l’emploi, qui ont besoin de temps, de soutien, de reconnaissance. Leur retirer leurs droits, ce n’est pas les activer. C’est les enfoncer un peu plus. Et il y a également toute une frange de travailleurs et travailleuses précaires qui enchaînent intérim, contrats courts et périodes de chômage. Ces personnes-là seront également exclues !
Florence Lepoivre : Cette réforme va à l’opposé de ce que nous observons sur le terrain. À Bruxelles, un des principaux freins à l’emploi – en dehors de la discrimination à l’embauche – est le décalage entre les qualifications demandées par les employeurs et le profil des chercheurs d’emploi. Ce n’est pas un manque de volonté. C’est un manque de reconnaissance, de formation, de passerelles. Malgré les obstacles, des milliers de Bruxellois s’engagent dans des parcours de formation. Ce sont des personnes très précarisées : 43 % sont BIM, 63 % peu qualifiées, 36 % ont un diplôme non reconnu. Près de la moitié ne peuvent pas faire face à une dépense imprévue. Et malgré cela, elles s’accrochent. Mais que fait la réforme ? Elle brise cette dynamique. En menaçant d’exclusion en cours de parcours, elle dissuade l’entrée en formation. C’est ce que dénonçait le conflit d’intérêt de la COCOM, que nous soutenons pleinement. Et c’est ce que vivent déjà les opérateurs bruxellois, qui voient des personnes abandonner leurs projets par peur de tout perdre.
Que dit cette réforme du projet de société porté par la majorité actuelle ?
Florence Lepoivre : Cette réforme s’inscrit dans une stratégie plus large. À côté des exclusions, le programme de l’Arizona prévoit l’annualisation du temps de travail, l’extension des flexi-jobs, la fin du 1/3 temps minimum, l’élargissement du travail de nuit et étudiant, l’introduction de l’intérim à durée indéterminée, et une nouvelle définition de l’emploi « convenable » qui permettra bientôt d’imposer un emploi jusqu’à 20 % moins bien payé que l’allocation de chômage. C’est un basculement idéologique. On passe de l’État social à l’État sanction. D’un droit à l’emploi décent à une obligation de prendre n’importe quel boulot, à n’importe quel prix. Le gouvernement Arizona détruit méthodiquement les filets de sécurité collectifs.
Jean-François Tamellini : Ce n’est pas une politique d’activation. C’est un plan de précarisation généralisée, un affaiblissement des protections collectives, une mise sous pression permanente des personnes avec et sans emploi. Et derrière tout ça, il y a un objectif très clair : tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. Quand on menace les chômeurs de sanctions, on affaiblit la capacité des travailleurs à négocier leurs conditions de travail. Quand on élargit les statuts précaires, on fragilise l’ensemble du marché du travail. On l’a dit, et on le répète : le vrai but de cette réforme, ce n’est pas de remettre les gens à l’emploi – et encore moins dans un emploi digne. Le vrai but, c’est de faire pression sur l’ensemble du monde du travail, au nom de la compétitivité et des profits pour modifier la distribution de richesses en faveur des entreprises et des actionnaires.
La précarisation de l’assurance chômage et la flexibilisation du marché de l’emploi sont les deux faces d’une même pièce, des revendications patronales, qui répondent surtout à la situation en Flandre. Elle est quasiment au plein emploi : malgré les mesures d’activation, elle a atteint un seuil de chômeuses et chômeurs que les entreprises flamandes ne sont pas prêtes à engager, car elles les considèrent comme pas assez productifs, trop âgés, pas assez qualifiés, voire trop wallons, comme l’a récemment montré une étude de l’Université de Gand. Et la Flandre n’est pas prête (et c’est un euphémisme) à faire appel à de la main d’œuvre étrangère. L’objectif est d’augmenter le taux de productivité des entreprises flamandes. Sauf qu’appliquer les mêmes recettes en Wallonie et à Bruxelles aura pour conséquences d’augmenter la précarité mais pas le taux d’emploi durable. En Wallonie, les travailleurs en ALE, dont une majorité travaille dans les écoles, seront exclus et remplacés par des pensionnés en flexi-jobs. Et, parallèlement, le ministre wallon de l’emploi veut réformer l’accompagnement FOREM dans une logique plus répressive. Par contre, on attend toujours qu’il remplisse son rôle de ministre de l’Économie : où sont les créations d’emploi durables ? On ne voit que des fermetures d’entreprise, et on n’a toujours aucune certitude quant à l’approvisionnement énergétique.
Ses attaques contre le non marchand ou les services publics visent aussi à transférer des parts de marché vers le privé ; dans des secteurs qui doivent pourtant être immunisés de logiques de profits. Pas étonnant si on suit cette logique de sacralisation des gains de productivité que certains se permettent de remettre en cause l’importance de la culture…
Vous dites que la réforme vise à faire pression sur l’ensemble du monde du travail. Pour vous cette réforme aura un impact au-delà des seuls demandeurs d’emploi ?
Florence Lepoivre : Parce que ce type de réforme ne s’arrête jamais aux personnes sans emploi. En affaiblissant les droits des chômeurs, on affaiblit tous les travailleurs. C’est une pression implicite : acceptez n’importe quelles conditions, parce que sinon, la chute est brutale. Le nouvel emploi « convenable », tel que défini par l’Arizona, pourra même offrir un revenu 20% inférieur à l’allocation de chômage. Que signifie encore la dignité dans ces conditions ?
Ce que le gouvernement organise, c’est un nivellement vers le bas des droits, des protections, des salaires. La précarité des uns devient un levier pour faire pression sur tous les autres. Et cela concerne autant les salariés du public que du privé, les jeunes que les anciens, les employés que les ouvriers. C’est une spirale de déclassement.
Jean-François Tamellini : C’est un glissement très dangereux. Cette réforme transforme le chômage en outil de chantage généralisé. Et elle s’inscrit dans une vision du travail purement utilitariste, où tout doit être flexible, adaptable, jetable. Or un travailleur qui a peur de tomber dans la pauvreté est un travailleur qui accepte plus facilement des conditions dégradées. On est dans une logique de compétitivité à courte vue, dictée par les lobbys patronaux. Et ça, ce n’est pas seulement une erreur économique : c’est un projet de société régressif, qui tourne le dos à l’émancipation, à la justice sociale, à l’égalité des chances. Et qui risque, à terme, de faire exploser les tensions sociales.
Le gouvernement insiste beaucoup sur la responsabilisation des demandeurs d’emploi. Mais pour vous qu’en est-il de la responsabilisation des employeurs ?
Florence Lepoivre : C’est l’un des grands angles morts de la politique d’emploi portée par ce gouvernement Arizona. On impose des obligations toujours plus strictes aux demandeurs d’emploi – sous peine de sanctions, d’exclusions, de radiation – mais aucune exigence sérieuse n’est posée aux employeurs. Et pourtant, ce sont eux qui bénéficient massivement d’argent public. En Belgique, les entreprises reçoivent chaque année plus de 52 milliards d’euros d’aides publiques, sous différentes formes : réductions de cotisations patronales, subsides à l’embauche, aides à la formation, exonérations fiscales… C’est colossal, surtout quand on compare cela au coût du chômage complet, qui représente environ 4 milliards d’euros soit moins de 3% du budget de la sécurité sociale. Autrement dit, on consacre sept fois plus de moyens publics à soutenir les entreprises qu’à protéger les travailleurs privés d’emploi. Et pourtant, ce sont toujours les chômeurs qu’on désigne comme le problème, qu’on accuse de « passivité », qu’on veut pousser à accepter n’importe quel emploi, dans n’importe quelles conditions.
Mais qui ose poser la question des contreparties pour les employeurs ? Où sont les obligations en matière de création d’emploi durable, de formation interne, de respect de l’égalité des chances à l’embauche ? À Bruxelles, des milliers de personnes diplômées, qualifiées, motivées, sont écartées du marché du travail pour des raisons qui tiennent à leur origine, leur sexe, leur âge, ou leur code postal. La discrimination reste massive, documentée, mais impunie. Et ce n’est pas seulement notre constat : Unia l’a encore rappelé dans une analyse publiée le 17 juin dernier. Unia souligne que sans politique de lutte contre la discrimination à l’embauche, cette réforme produit une double peine : exclure du chômage des personnes qui sont déjà discriminées par le marché du travail. Leur conclusion est limpide : « On ne peut pas vouloir activer les chercheurs d’emploi tout en fermant les yeux sur les discriminations structurelles qui les empêchent d’être engagés. » Unia appelle à activer les contrôles, à imposer des obligations aux employeurs, à rendre les politiques d’égalité contraignantes. Ce sont ces exigences-là que nous portons aussi. La responsabilisation doit être collective. On ne peut pas construire une société solidaire en culpabilisant en permanence les plus fragiles, tout en exonérant systématiquement les plus puissants de leurs responsabilités sociales.
Jean-François Tamellini : C’est toute la logique du gouvernement Arizona qui est perverse. Le gouvernement a fait le choix de stigmatiser les sans-emploi plutôt que d’interroger les choix économiques et patronaux qui précarisent massivement le travail. Et pourtant, ce sont bien les grandes entreprises qui reçoivent les aides publiques les plus importantes, souvent sans aucune condition, ni contrôle. Beaucoup continuent à licencier malgré les subsides, à externaliser, à automatiser, à recourir à des statuts précaires. Il est temps d’en finir avec cette logique de chèque en blanc… Mais où sont les obligations pour les entreprises qui reçoivent de l’argent public et continuent malgré tout à externaliser, automatiser, précariser ? Nous, ce que nous demandons, c’est un cadastre des aides publiques aux entreprises, une transparence totale, et des conditions strictes : pas d’aide sans formation, sans embauche locale, sans égalité de traitement. Et surtout, il faut inverser la logique du soupçon. Parce que dans le fond, le véritable déséquilibre, il est là : ceux qui ont le plus de moyens échappent à toute responsabilité, pendant que ceux qui ont le moins de marges sont constamment surveillés, sanctionnés, stigmatisés. Ce modèle est non seulement injuste, il est inefficace et profondément toxique pour la cohésion sociale.
Et la logique du gouvernement wallon est la même : au lieu de développer des politiques positives de formation pour mieux faire correspondre les compétences des demandeuses et demandeurs d’emploi avec le marché de l’emploi, il va renforcer le volet répressif de l’accompagnement FOREM. Et dans le même temps, on apprend le scandale du détournement par plus de 250 entreprises wallonnes (voire bien plus) d’aides publiques à la formation. Le ministre Jeholet veut exclure des sans emploi au lieu de les former pendant que les entreprises détournent de l’argent public destiné… à la formation : cherchez l’erreur !
Quelle riposte possible face à cette réforme ?
Jean-François Tamellini : Il ne suffit pas de dire non. Il faut construire un autre oui. Oui à une sécurité sociale forte et solidaire. Oui à des services publics capables d’accompagner chacun. Oui à une fiscalité équitable qui ne fait pas peser le poids de la crise sur les plus précaires. Le combat contre cette réforme, c’est le combat pour un autre cap. Il appartient maintenant aux parlementaires, aux responsables politiques, aux citoyennes et citoyens de choisir leur camp. Parce que derrière cette réforme, il y a une question centrale : veut-on d’un pays où l’on organise l’exclusion, où il y a deux fois plus de personnes au CPAS que de chômeuses et chômeurs indemnisés, ou d’une société qui ne laisse personne au bord du chemin ?
La meilleure réponse à cette réforme, c’est la mobilisation. L’histoire sociale nous montre que c’est quand les gens s’organisent, s’unissent, refusent collectivement l’inacceptable, qu’on peut inverser le cours des choses. Il ne faut pas se laisser piéger par l’impuissance ou la résignation. On ne peut pas laisser faire en silence une réforme qui attaque les plus fragiles, qui fracture le pays, qui organise la misère. La riposte, c’est maintenant. Elle doit être massive, déterminée, et solidaire. C’est ensemble qu’on fera tomber cette réforme.
Florence Lepoivre : Oui, et elle est plus nécessaire que jamais. Nous appelons les parlementaires à prendre leurs responsabilités, mais aussi les citoyens, les associations, les syndicats, les CPAS, les communes… Ce combat dépasse largement le cadre syndical : c’est un enjeu de société. Il s’agit de défendre un modèle solidaire contre une vision brutale et individualiste. Si cette réforme passe, ce sera un tournant catastrophique pour notre sécurité sociale. Mais nous refusons de céder au fatalisme. Cette réforme n’est pas une fatalité, c’est un choix politique. Et à un choix politique, on peut opposer un autre projet. Celui d’un État social du XXIe siècle, qui garantit à chacun le droit à un revenu digne, à la formation, à un emploi de qualité. Un modèle basé sur la solidarité réelle, sur la justice sociale, pas sur la stigmatisation et le soupçon. Ce projet ne pourra exister que si nous sommes nombreux à le défendre, sur le terrain, dans les communes, dans les mobilisations. C’est pour cela que la FGTB Bruxelles appelle toutes les forces progressistes à faire front commun, dans la rue comme dans les parlements. La marche forcée que nous impose le gouvernement De Wever peut encore être stoppée. Mais il faut du courage. Et de la détermination.
Les chiffres des exclusions ventilés par régions et communes – % pop exclue – Indicateur de richesse
