Jeudi 24 novembre 2022
Métiers en pénurie : la faute à qui ?
Tous les jours, on entend parler de milliers d’emplois « en pénurie », qui resteraient vacants. Pour la droite et le patronat, les coupables sont tout trouvés : le FOREM, forcément inefficace puisque service public, et les sans emploi, forcément fainéants et profiteurs puisque… chômeurs ! Pourtant, à y regarder de plus près, ce ne sont pas eux qui manquent de motivation mais bien… les employeurs !
Après les analyses de l’ULB-DULBEA, de la Cour des comptes et de la CLCD, ce sont deux études du FOREM qui viennent confirmer ce que la FGTB wallonne dit depuis longtemps : ce sont bien… les employeurs qui manquent de motivation !
« Il serait évidemment commode de résumer les pénuries d’emploi à un problème de motivation des demandeuses et demandeurs d’emploi. Comme si le chômage de masse n’était pas un problème de société mais la simple addition de milliers de problèmes de motivation individuelle« . Enquête de la Cellule de lutte contre les discriminations
Déséquilibre entre exigences et conditions de travail
Voici moins d’un an, la Cellule de lutte contre les discriminations (CLCD) de la FGTB wallonne et du CEPAG publiait les résultats de son impressionnante étude, portant sur 2.639 offres d’emploi concernant des fonctions critiques ou en pénurie. Les constats: d’une part certains critères et exigences figurant sur les offres d’emploi sont démesurées au regard de la fonction recherchée, et constituent des freins à l’embauche. D’autre part, pour des emplois présentant des exigences si pointues, la contrepartie en termes de conditions de travail ou de salaire n’est pas à la hauteur et n’encourage pas à s’orienter vers ces métiers…
« On ne peut pas, dans le même temps, exiger une personne surqualifiée, motorisée, expérimentée et opérationnelle tout de suite ; ne proposer en contrepartie que des contrats précaires, des régimes flexibles et des salaires au rabais ; et venir ensuite se plaindre de manquer de personnel. » Enquête de la cellule de lutte contre les discriminations
Un thème monté en épingle
La médiatisation excessive et l’instrumentalisation du phénomène de « pénurie »ne sont pas neuves. Il s’agit, pour le patronat et une partie du monde politique, de faire porter la responsabilité du chômage sur la personne sans emploi.
Outre la Cellule de Lutte contre les Discriminations, d’autres études se sont penchées sur la question, et ont pourtant trouvé d’autres pistes de réponse. Dès les années 2000 déjà, des experts DULBEA-ULB concluaient que, pour certains secteurs, les tensions pourraient être résolues par une amélioration des salaires et des conditions de travail.
En 2022, deux études du FOREM viennent compléter ces différents travaux. Les résultats ont été analysés par la FGTB Wallonne. La première étude vient confirmer qu’il existe une disproportion entre exigences patronales – en termes d’expérience, de connaissance des langues, de détention du permis ou d’un véhicule – et conditions de travail. Ces critères peuvent bien entendu avoir leurs raisons d’être pour certaines fonctions, mais sont clairement injustifiés pour de nombreuses autres.
Pas plus d’emploi après une formation pour un métier en pénurie
La seconde étude vient corroborer des conclusions déjà rendues en 2020 par la Cour des Comptes. Le taux d’insertion à l’emploi des formations pour un métier en pénurie est identique, voire légèrement
inférieur, à celui de l’ensemble des formations. On retrouve ainsi les plus faibles taux d’insertion à l’emploi dans… la construction et l’horeca, deux secteurs pourtant présentés comme particulièrement sujets aux pénuries. A quoi bon se former à un métier en pénurie si on ne trouve que des portes closes pour « manque d’expérience » ?
Des résultats interpellants qui interrogent sur les positions patronales d’obligation de formation à un métier en pénurie ou les revendications libérales de diminution des allocations de chômage et de renforcement des contrôles et exclusions.
La politique du bâton, la politique des sanctions, ça ne marche pas ! Cela fait 20 ans qu’elles sont appliquées, sans autres résultats qu’une aggravation de l’exclusion, de la pauvreté et des inégalités. Il faut changer radicalement de cap et développer des politiques d’emploi, de formation et d’accompagnement de qualité, non répressives et axées sur la confiance.